Marine va à la pêche électorale – Ép. 2 : Une question de racines

 

Les stratégies électorales de l’extrême-droite dans les démocraties bourgeoises

Voici la suite de notre série sur l’extrême-droite « réformiste ». Vous pouvez trouver la première partie ici.

 

Épisode 2 : Une question de racines

 

Il faut être très ambitieux pour se dire révolutionnaire, encore plus pour être internationaliste, et être quasi-fou pour vouloir instaurer le communisme.
Mais commencer un article sur une définition de l’État, de la nation et du nationalisme relève de la semi-démence à son dernier degré ; commençons donc sans plus attendre.

Un État moderne, c’est un État d’Europe occidentale. C’est un territoire administrativement réglementé, dans lequel les marchandises et les personnes circulent librement, qui possède un pouvoir politique centralisé à plus ou moins grande échelle, et qui n’a pas besoin de son histoire et de sa culture pour exister, au premier abord. C’est plus une entité de papier qu’un tout organique. Ceux qui y habitent sont considérés comme des citoyens, jouissant de certains droits accordés par l’État et de devoirs envers celui-ci.
C’est, en très rapide, la définition libérale classique de ce qu’est un État-nation, un ensemble contractuel d’accords entre ceux qui l’habitent et qui en sont les usagers. Dans ce cadre conceptuel, la nation est le rassemblement de ceux qui sont contractants, habitants et usagers de l’État à un moment donné. Il y a des règles à respecter en échange de quoi des droits sont accordés.

Les nationalistes rejettent cette vision contractuelle avec la plus haute violence, et c’est en cela qu’ils sont, tout d’abord, anti-libéraux ; c’est à la conception «bureaucratique» de la nation et de l’État national qu’ils opposent une idée plus «organique» de la nation et c’est cela qui les place, dans le domaine des idées du moins, dans le camp anti-libéral. Ils proviennent philosophiquement de ceux qui formeront les contre-révolutionnaires, ceux-là qui ne jugeaient la valeur d’une nation que par la classe de l’élite, que par l’aristocratie et ses génies. Un camouflet leur est donné par des pays «sans histoire», parce qu’ils se trompaient sur la causalité des choses : un pays n’est pas riche de l’intelligence de ses habitants, mais l’intelligence de ses habitants découle de la manière dont le pays dépense ses richesses ; pourquoi les plus grands savants des Lumières provenaient-ils de la grande bourgeoisie et de l’aristocratie marchande ? Est-ce que le gêne du génie a soudain contaminé toute une classe économique ?
Non, bien évidemment, c’est que la richesse accumulée devenait tellement grande entre les mains de ceux qui possédaient les moyens de la produire qu’ils pouvaient se permettre de la dépenser comme ils le souhaitaient, et donc d’avoir du temps libre à penser à autre chose, comme, par exemple, réfléchir et expérimenter sur le monde. Le surplus économique, tiré en très grande partie au début du commerce colonial, a permis de donner le temps, les outils matériels et intellectuels, la main-d’œuvre nécessaire, de faire des avancées philosophiques et scientifiques impressionnantes, qui constituent encore, malgré leurs évidents angles morts, le fond commun de la pensée philosophique moderne.

Il y a plusieurs nationalismes qui découlent, «tout naturellement», de cette époque.

 

Nationalisme révolutionnaire – constituer la nation

L’État archaïque de type féodal, avec chaque province qui garde ses spécificités propres, entravant les affaires des hommes et limitant la circulation des marchandises, est en crise. Il faut le rendre plus efficace, moins perturbateur de l’état naturel des affaires humaines – une antienne libérale que l’on retrouve encore aujourd’hui. Des baronnies et des potentats locaux il s’agit de faire table rase ; la bourgeoisie veut constituer un État autour de la Nation, se servir d’elle pour se constituer un territoire dans lequel les affaires pourront aller bon train.

Bien sûr, tout n’est pas question d’économie dans cette aventure, mais elle est au centre de toutes les attentions, devenant même la méthode privilégiée pour rendre matérielle cette nation appelée de tous les vœux ; l’unité allemande ou italienne au XIXème siècle passeront par cette même voie, et malgré les constituants nationaux déjà mis en place dans ces deux états, la division entre pauvres et riches nationaux se reconstituera d’elle-même – pouvant même devenir de la «xénophobie interne» comme avec les peuples de seconde zone au sein de l’État national (différents des peuples colonisés) ou bien simplement une ségrégation sur la richesse (Nord et Sud en Italie, par exemple).

Ce nationalisme a le goût du concret et de l’institution : il combat des forces matérielles avec d’autres forces toutes aussi matérielles, et il veut modifier le monde pour que la nation vive et se perpétue. Il a donc une attention toute particulière à l’économie, et est complètement intégré aux intérêts bourgeois.

On se trompe souvent en faisant de la bourgeoisie la porteuse de la démocratie et de la république : elle a très bien pu se satisfaire de dictatures politiques très dures, et elle le fait encore très bien : tant que elle et ses représentants sont satisfaits économiquement, elle ne se lie jamais suffisamment pour aller à la bataille politique et défendre des droits spécifiquement démocratiques. En réalité, c’est presque un concours de circonstances si la Révolution Française a porté les revendications politiques démocratiques via les voies bourgeoises ; c’est une réécriture de l’histoire de leur part : d’autres forces portaient ces revendications, et dans les combats politiques du XIXème, les masses populaires étaient tout autant porteuses de ces thèmes que ne l’étaient les défenseurs du capital.

 

Nationalisme de libération – libérer la nation

Il est des nationalismes qui se constituent ou se revivifient dans le combat pur contre l’envahisseur, et les marxistes parlent alors de libération nationale. Entre les nationalismes qui préexistaient à une invasion et les séparatistes, qui veulent se séparer de l’institution administrative de l’État (toujours centralisateur, dans les discours), le but est de rejeter l’envahisseur, de le renvoyer chez lui. Le nationalisme est alors un outil pour unir les masses autour de ce projet d’émancipation collective, très souvent en se référant à une histoire commune, fantasmée et fédératrice, le plus-que-fameux roman national.

Des deux formes de libération nationale, celle qui cherche à se constituer par sécession est celle qui doit gagner sa légitimité à parler comme nation autonome, et à se faire reconnaître des autres nations autonomes, l’équilibre est subtil. La lutte de libération nationale est souvent le théâtre de compromis contre natures, en tout cas qui le seraient si la lutte nationale n’était pas l’aspect prioritaire – voire vital – du moment. Ce sont donc des considérations conjoncturelles qui déterminent les stratégies et les alliances qui ont lieu dans une lutte de libération donnée, à un moment donné. Cette forme de nationalisme prône l’auto-détermination, non imposée par une entité illégitime et colonisatrice ou occupante.

 

Nationalisme réactionnaire – purifier la nation

La nationalisme est spécifiquement aujourd’hui perçu comme une pratique réactionnaire, presque dans le sens étymologique ; dans cette forme, en effet, il se constitue tout d’abord en réaction aux évènements révolutionnaires qui vont aboutir à la constitution des États bourgeois, après la vague de révolutions européennes qui ont balayé le Vieux Continent tout au long du XIXème siècle.

C’est dans ce contexte que se constitue la créature du nationalisme réactionnaire, auquel tout nationalisme se voit systématiquement ramené ; et pour cause, c’est bien cette idéologie que l’on a le plus souvent face à nous, dans nos États impérialistes.

Les réactionnaires n’ont aucune volonté de transformer l’État pour lui faire épouser les contours de la nation, ils sont dans un pays où c’est déjà le cas : ils sont des acteurs politiques dans un pays doté d’institutions assurant l’efficacité nécessaire au maintien des affaires courantes, et cela malgré les cahots inévitables de toute construction sociale en mouvement ; l’ennemi contre lequel ils s’opposent n’est pas non plus un État autre qui s’imposerait, ce n’est pas celui qui empêche la nation de se constituer, non, c’est la perversion interne, l’ennemi de l’intérieur, la cinquième colonne des mauvais citoyens contre qui il s’agit de lutter. Tout semble se passer comme si on avait affaire à la maladie politique de pays impérialistes qui refusent que leur puissance ne baisse que d’un iota, que le jeu politique ne change en leur défaveur.

Comment construire un discours argumenté et rationnel, qui s’opposerait à la libération de ceux qu’on exploite et humilie ? En la congédiant, en y préférant la mystique d’un grand discours unificateur, et en se mettant à croire en la fiction d’un roman qui n’avait jamais eu d’autre utilité que de la propagande facile pour justifier le passage à l’action.

C’est, il semblerait, une étape des nations impérialistes constituées, celles qui sont en concurrence avec les autres États, celles qui cherchent la domination d’un impérialisme concurrent. Le plus grand bénéficiaire, ce n’est pas, ce n’a jamais été, et ce ne sera jamais le prolétariat national, mais la bourgeoisie de tel ou tel pays, qui se réjouit du front commun qui se constitue autour de ses intérêts, de ses règles et de ses institutions, alors que l’ennemi n’est qu’un sous-produit de l’action économique dont elle est la maîtresse. L’État ne peut qu’en sortir plus fort, plus imposant et légitime.

Car derrière la recherche revendiquée de l’essence de la Nation contre ceux qui la pervertissent, ce n’est que l’État qu’ils défendent. Imaginons en effet que l’on supprime l’État et ses structures ; les nationalistes n’ont alors plus rien à défendre que du passé et une histoire mythifiée. Ils sont les dépositaires d’une histoire très métaphysique, et foncièrement idéaliste : la nation préexiste à ses habitants, ses territoires, sa matérialité, et elle s’incarne dans l’histoire, ses grandes figures… En cela, également, ils sont les véritables hérauts de toutes les vues réactionnaires.

Veulent-ils alors abolir la République et le régime parlementaire, qu’ils veulent tout aussitôt remettre en place des structures d’État qui séparent nationaux et étrangers, bons et mauvais capitalistes… Les fascistes voulaient la remise au pas de la dissidence socialiste et de la décadence financière cosmopolite, les royalistes veulent le retour du Roi pour sa fonction symbolique et le retour de la corporation dans un cadre national, mettant donc à terre l’idée de la lutte des classes, comme si celle-ci n’était qu’une question de mauvaise volonté ou de stratégie d’agitateurs politiques.