Vous avez sous les yeux le Manifeste politique de Reconstruction Communiste. Que ce document constitue votre première approche avec nos idées ou que vous cherchiez à approfondir, il est fait pour vous. Nous tenions à y présenter les principes, analyses et positions de notre organisation avec le plus de simplicité possible. Le rapport à l’héritage communiste, notre vision du contexte politique en France, nos objectifs, etc. ; nous essayons dans ce texte d’offrir des éléments de réponses à de nombreuses questions liées aux problématiques du milieu révolutionnaire. Nous espérons que la lecture de ce document vous donnera l’envie d’en savoir plus encore mais surtout la motivation pour changer les choses.
Table des matières
La continuité du mouvement ouvrier
Aller de l’avant et trier les étiquettes
L’école du communisme en crise
Quand même la social-démocratie n’y arrive plus
Et les révolutionnaires, dans tout ça ?
Cesser de s’apitoyer sur son sort
La grande question du parti communiste
Une direction révolutionnaire pour les masses
Lier la masse des prolétaires à son parti, lier le parti avec sa base prolétarienne
Coordonner, planifier, exécuter
La démocratie comme outil d’élaboration de l’orientation politique
L’importance de la formation des militants
Est-ce que Reconstruction Communiste est ou veut être un parti communiste ?
Reconstruction Communiste, dans notre époque
La place de l’internationalisme
L’unité des communistes en France
Pour télécharger le Manifeste : manifeste.pdf
Nous n’avons pas le goût du sacrifice pour le sacrifice. Si nous sommes communistes, c’est par nécessité et non par choix.
Notre époque est celle de l’hégémonie absolue de la bourgeoisie, qui nous promet un libéralisme débarrassé des ses prétentions progressistes passées, et qui gère l’humanité comme on gère une entreprise. Par la carotte et par le bâton – mais de plus en plus uniquement par le bâton.
Nos outils de lutte traditionnels pour s’opposer aux forces du capital ont été émoussés. Le parti communiste français n’est plus que l’ombre de lui-même, la social-démocratie peine à retrouver sa splendeur d’antan. Quant au syndicalisme qui entend encore lutter pour l’intérêt des travailleurs, il survit et vivote, mais son action reste poussive.
Un tableau sinistre donc, et tout le monde y trouverait là une bonne excuse à l’inaction. Alors il faut le marteler sans cesse : comprendre, expliquer, constater, ce n’est pas justifier, et encore moins accepter.
Nous avons toujours ce besoin d’un changement fondamental de l’ordre social, en France et dans le monde. Et ce mouvement de transformation totale de la société a pour nom “communisme”.
Le communisme fait autant partie de notre passé que de notre futur, et il reste le mouvement conscient et volontaire des hommes pour abolir l’exploitation. Nous voulons poursuivre, à notre époque, dans notre pays, l’écriture d’un livre dont les pages ont été rédigées, annotées, griffonnées, arrachées, réécrites par des millions de camarades, partout dans le monde et dans toutes les langues.
Des ambitions qui ne peuvent être atteintes du jour au lendemain, encore moins sans préparation et sans organisation.
Par ailleurs, nous acceptons les échecs de toutes les expériences socialistes, sans fausse pudeur ni glorification.
Nous nous plaçons donc dans la continuité de nos prédécesseurs, pour participer à ce mouvement frémissant qui appelle à reconstruire une structure qui assumerait la direction stratégique des forces sociales et qui parviendrait à dépasser les chapelles enivrées de leurs petites différences.
Nous avons le devoir de faire face, et de tirer les bonnes conclusions.
Reconstruction Communiste est née de cette idée vague, énorme et effrayante, à laquelle nous voulons prendre part : nous devons reconstruire le parti des communistes.
Connaître son ennemi…
Le capitalisme est le règne de l’argent pour lui-même. Puisque nous entendons lutter contre, il est important, encore une fois, de se remettre en tête ce qui en est la base, son fonctionnement schématique.
Si les échanges économiques existent depuis bien longtemps, le capitalisme comme nous le connaissons, basé sur la production massive de marchandises, est un mode de production qui a définitivement succédé au féodalisme à partir du 18ème siècle en Angleterre, puis progressivement dans le monde entier. Il se caractérise par le fait qu’une classe, la bourgeoisie, concentre entre ses mains l’ensemble des moyens de production de la richesse (machines, outils, bureaux nécessaires pour produire des biens et des services, mais aussi terres cultivables, mines, espaces dédiés à la construction, etc.), qui sont indispensables pour produire les biens et les services nécessaires à la reproduction de la vie humaine.
Les bourgeois, qu’ils soient actionnaires ou petits patrons d’une PME locale, achètent la force de travail des prolétaires, qui devient du même coup une marchandise, et l’utilisent pour actionner les moyens de production dont ils sont propriétaires. Ce ne sont pas les marchandises produites en elles-mêmes qui intéressent les capitalistes, mais le fait que la vente de ces marchandises leur permettent de réaliser un profit qu’ils estiment suffisant, peu importe le type de produit qu’ils vendent.
Dans une économie marchande où l’échange de biens est généralisé, les marchandises ont une valeur d’échange. Cette valeur d’échange correspond à la quantité relative d’autres biens contre lesquels il est possible d’échanger une marchandise. Le prix d’une marchandise est l’expression monétaire de cette valeur d’échange si on ne tient pas compte des variations dues aux mouvements de l’offre et de la demande sur le marché.
Dans l’économie capitaliste, la valeur d’échange d’une marchandise tend à être égale à la quantité de temps de travail nécessaire pour la produire. Il s’agit ici du “temps de travail social moyen”, c’est-à-dire du temps de travail nécessaire à un travailleur normal, dans une société donnée, pour produire un bien ou un service. Imaginons qu’un capitaliste décide de vendre une marchandise en-dessous de sa valeur : alors il devra accepter de faire un profit plus faible que ses concurrents sur chacune des marchandises vendues. Si, au contraire, il choisit de la vendre au-dessus de sa valeur, un de ses concurrents aura plus de facilité à vendre cette même marchandise, parce que son prix à lui sera inférieur. C’est pourquoi le prix de la marchandise gravite autour de sa valeur, c’est-à-dire le prix du temps de travail social moyen utilisé pour produire la marchandise.
Mais le capitaliste achète aussi une marchandise très spécifique : la force de travail. Quelle est la valeur de la force de travail ? C’est le prix du temps de travail social moyen nécessaire à la production de la force de travail ; en bref, c’est le salaire “de base” du travailleur, celui qui lui permet de revenir chaque jour travailler dans les conditions qui lui permettent de recréer des marchandises. Tout le temps qui est utilisé pour produire autre chose que la valeur de la force de travail est ce qu’on nomme le surtravail. Le surtravail est le temps de travail non rémunéré pour le travailleur, qui permet au capitaliste de s’octroyer une plus-value. La plus-value correspond donc à la quantité de richesse produite par le travailleur mais appropriée par le capitaliste. Et c’est sur le partage de cette plus-value que le capitaliste tirera un profit plus ou moins grand. Bien sûr, il ne pourra faire de profit qu’une fois que la marchandise aura été vendue sur un marché, et payée. Le capitaliste va ensuite pouvoir utiliser ce profit pour augmenter son capital, ce qui va permettre à la classe bourgeoise de perpétuer sa domination.
Lorsqu’on construit une mine, on espère à l’avenir obtenir une somme d’argent plus importante que celle que l’on a investie initialement : on exploite la mine. De la même manière, le capitaliste exploite les travailleurs, en les payant moins que ce qu’ils produisent. Dans les économies où le salaire n’était pas généralisé, l’exploitation était immédiatement visible : dans l’économie féodale, le paysan travaillait plusieurs jours chaque année pour produire du blé qui revenait directement au seigneur local, qui possédait les terres. Dans le capitalisme, comme tout se passe par l’intermédiaire de la monnaie, le travailleur a l’illusion que son travail est payé à sa juste valeur, et le sentiment d’être exploité disparaît presque par magie. C’est ce rapport social d’exploitation des prolétaires, dépossédés de tout moyen de production par les capitalistes et contraints de “se vendre” sur un marché pour vivre, qui constitue la base de tous les autres rapports sociaux dans la société capitaliste. Cela ne veut toutefois pas dire que tous les rapports sociaux sont d’une manière ou d’une autre des variations du rapport économique d’exploitation.
Entre le 19ème siècle, où le capitalisme français était essentiellement industriel et où les travailleurs ne disposaient d’aucune protection face à la bourgeoisie, et aujourd’hui, où l’essentiel de l’emploi français se trouve dans le secteur du tertiaire et où les travailleurs disposent de certains droits sociaux, la situation peut sembler très différente. Pourtant les caractéristiques essentielles du capitalisme sont toujours les mêmes, et le nombre de prolétaires n’a jamais été aussi grand en France et dans le monde.
En prenant du recul sur la situation à l’échelle mondiale, on constate que les pays occidentaux concentrent la majeure partie des richesses grâce à la possession du capital sous sa forme financière. La cause et la conséquence directe de cette concentration est la surexploitation des travailleurs des anciens pays colonisés. Alors qu’ils sont désormais politiquement indépendants, ces pays ne se trouvent pas moins dominés économiquement, et occupent les places les moins avantageuses dans la division internationale du travail (extraction de matières premières, nourriture non transformée, industries les plus polluantes, etc.).
Le capitalisme est aussi producteur de guerres d’un nouveau type, les guerres impérialistes, dans lesquelles les peuples sont condamnés à s’entre-tuer pour les intérêts de leurs capitalistes respectifs. Les métropoles impérialistes du Nord vivent grâce à l’exploitation des pays dominés du Sud, et ont donc intérêt à augmenter au maximum l’influence qu’elles ont sur ces pays dominés. Souvent, ces guerres se font indirectement, entre deux pays dominés ou entre un pays dominé et un dominant. Mais les bouleversements des rapports de force entre les différentes puissances impérialistes peuvent aussi finir en guerres ouvertes entre ces puissances, et ainsi surviennent les guerres mondiales.
Avec la crise climatique et environnementale, nous faisons face à une menace existentielle d’une ampleur inédite, mettant en péril l’existence des bourgeois eux-mêmes. Comme s’il était doté d’une conscience autonome, le capitalisme veut “créer de l’argent pour créer encore plus d’argent”, et il a un besoin vital d’étendre toujours plus ses zones d’action pour survivre. Ses agents, les capitalistes, se livrent entre eux une concurrence sans pitié dans laquelle ils sont à la recherche permanente de nouveaux débouchés pour leurs marchandises, de sources de matières premières à des prix moins élevés, de nouvelles machines plus performantes pour augmenter la productivité du travail humain. Cette compétition repousse sans cesse ses limites. Parmi ses conséquences les plus absurdes, on retrouve les crises de surproduction, lors desquelles la trop grande abondance de biens crée la misère : du fait de l’impossibilité de vendre les produits à un prix permettant de faire du profit, les capitalistes préfèrent ne pas les vendre, les stocker ou même les détruire, et ce au détriment de la société qui a besoin de cette production.
Parce que les forces politiques qui la combattent sont faibles, la bourgeoisie domine sans résistance la vie sociale et économique, et du même coup son idéologie domine plus encore : le sentiment d’appartenir au prolétariat et la volonté de renverser le capitalisme sont plus faibles que jamais. Parce que la quantité de biens consommés est plus grande que jamais, parce qu’il y a des congés payés, parce que les loisirs sont abordables, parce que les soins sont accessibles, la majorité des prolétaires se perçoit comme appartenant à la “classe moyenne”. C’est oublier la surexploitation des pays les plus pauvres, les luttes acharnées qui ont abouti à l’obtention de droits, la destruction des ressources, et le fait que les capitalistes volent littéralement du temps à l’ensemble des travailleurs.
Aujourd’hui, la classe ouvrière est plus nombreuse que jamais à l’échelle mondiale, et la façon dont sont exploités les prolétaires des pays dominés du Sud est aussi violente que ce que nous avons connu en Europe au 19ème siècle.
Les réalités qui ont rendu nécessaire la construction d’un mouvement ouvrier révolutionnaire, déterminé à renverser le capitalisme par la force, sont toujours d’actualité.
…comme soi-même
L’objectif des communistes est d’atteindre une société sans classes, libérée de l’exploitation et des oppressions. La question de la propriété des moyens de production est au cœur de cette vision du monde. Pour abolir l’exploitation de l’homme par l’homme, il est nécessaire de résoudre les contradictions inhérentes au capitalisme. Il est donc essentiel que les personnes exploitées, c’est-à-dire les prolétaires, prennent possession des moyens de production et mettent fin aux rapports d’exploitation. Par la propriété socialisée et démocratique de la production, le communisme met fin à l’abondance pour quelques-uns et à la nécessité pour tous les autres. La loi du profit cesse d’être la loi fondamentale de l’administration de la vie sociale et la satisfaction des besoins de la société entière devient l’objectif de la production. La prédation de la nature et de l’humain engendrée par l’anarchie de la production capitaliste est remplacée par la planification rationnelle de l’économie.
Karl Marx nous explique dans Le Capital qu’une société communiste est “une forme de société supérieure dont le principe fondamental est le plein et libre développement de chaque individu.” Cela signifie que l’objectif d’une société communiste est de permettre à chaque individu de se développer pleinement et librement, sans entraves, afin de réaliser son potentiel maximal. Cependant, ce développement individuel ne peut être pleinement réalisé que dans une société où l’émancipation collective est garantie. Comme l’énonce Marx dans le Manifeste du parti communiste, “À la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous.” Cela implique que l’épanouissement de chaque individu est directement lié au bon fonctionnement de la société dans son ensemble. Ce n’est qu’en garantissant à tous les membres de la société la liberté de se développer que l’on peut créer les conditions pour une véritable émancipation collective. Aussi, l’adage “De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins” résume l’objectif de participation de chacun, selon ses capacités, au bien-être de la société dans son ensemble.
Les communistes sont convaincus que cette transformation complète de la société est non seulement possible, mais qu’elle est également une progression nécessaire pour que la société soit plus juste et équitable. La bourgeoisie, en développant considérablement les forces productives et en engendrant une classe de prolétaires exploités et dépossédés de tout, a créé les conditions mêmes qui permettent de dépasser le capitalisme. La bourgeoisie ne survit qu’en défendant son droit de posséder les outils qu’utilisent les travailleurs ; c’est une classe sociale dont l’existence historique n’est plus justifiée. Le communisme ne cherche pas seulement à détruire ce qui existe, mais à abolir le mode de production actuel pour aller vers un nouveau système, fonctionnel et efficace.
L’objectif d’établir une société dépourvue d’exploitation de l’homme par l’homme va à l’encontre même du mode de vie et des intérêts des capitalistes. Vivant de l’exploitation, la classe capitaliste s’oppose nécessairement à tout mouvement qui se fixe pour objectif l’émancipation humaine. La bourgeoisie, par sa position dans le mode de production, utilise en dernier recours la coercition comme moyen de maintenir son pouvoir, grâce à des institutions telles que l’armée, la police, la justice, les prisons, etc.
Face à cette réalité, les marxistes concluent que les exploités doivent être capables d’user, aux moments opportuns, de chaque outil pouvant servir leur cause. Cela inclut, sans s’y limiter, l’usage stratégique et calculé de la violence, et l’utilisation de l’État comme outil d’oppression d’une classe sur une autre, pour imposer aux capitalistes des politiques visant à mettre fin à l’exploitation. L’expérience du mouvement ouvrier a montré qu’il n’est pas possible pour le prolétariat de prendre possession de l’appareil d’Etat bourgeois tel quel, et de le faire fonctionner pour atteindre ses objectifs. Il est donc nécessaire, lors du processus révolutionnaire, de le briser par la force et de lui substituer un Etat prolétarien, conçu par le prolétariat et au service de ce dernier.
Une fois les classes abolies, le nouvel Etat devra lui aussi disparaître étant donné qu’il n’est utile que comme outil de domination d’une classe vis-à-vis d’une autre. C’est le moment de l’extinction de l’Etat, tout simplement parce qu’il ne se trouve plus nécessaire.
Pour parvenir à cette société, il nous faut suivre le conseil de Lénine, en appliquant “[c]e qui est la substance même, l’âme vivante du marxisme : l’analyse concrète d’une situation concrète”. Les communistes doivent s’adapter à chaque situation, analyser, remettre en question et critiquer leurs erreurs, excluant tout dogmatisme, pour sortir grandis. Nous considérons par ailleurs que le marxisme promeut la critique continue dans le but d’améliorer constamment la pratique révolutionnaire. Si certains militants et intellectuels communistes nous ont légué de véritables trésors théoriques, il n’existe cependant pas de manuels pratiques dénués de tout défaut et qu’il suffirait d’appliquer dans le réel pour parvenir à nos fins. Il est encore et toujours nécessaire d’avoir un recul critique même lorsque l’on aborde des ouvrages considérés comme des “classiques” du marxisme.
En reconnaissant que l’abolition de l’exploitation et la transformation de la société ne se feront pas d’un coup, les communistes sont engagés dans une lutte stratégique et réfléchie. Nous devons rester conscients des défis énormes et de la nécessité d’une planification minutieuse de la lutte pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés.
Le lien au passé
Les communistes ne peuvent échapper à leur héritage, alors faisons le choix de vivre en paix avec lui. C’est de cette façon qu’il nous faut voir notre passé. Vivre en paix avec son héritage politique, ses réussites et ses erreurs, demande un inlassable et permanent travail de critique et de réflexion. À l’heure où beaucoup trop de communistes fantasment des époques révolues pour tenter de trouver des solutions aux problèmes actuels, il est important de clarifier notre relation au passé pour préparer l’avenir.
La continuité du mouvement ouvrier
Lorsque l’on évoque la question du communisme, aussi bien avec des militants qu’avec des personnes en dehors du monde politique, les expériences des régimes socialistes sont les premières à arriver dans la conversation. Et c’est légitime : en tant que communistes, nous nous battons pour l’émancipation du prolétariat et du genre humain, mais nous sommes liés à ces combats par-delà les âges et les frontières, dans leur grandeur comme dans leur tragique. L’héritage légué par les générations de communistes qui nous ont précédé est immense. Qu’il s’agisse de l’expérience des luttes, des moyens employés, des formes organisationnelles, des lignes politiques, des contextes traversés, l’histoire regorge d’éléments qui devraient être étudiés par les marxistes révolutionnaires du 21ème siècle pour agir.
Le capitalisme a synthétisé et dépassé les anciens modes de production, en accélérant d’une manière inédite le développement des forces productives, tandis que le mouvement ouvrier, par la force de la nécessité, a redéfini pendant près de deux siècles la problématique de la lutte sociale. Il s’est doté de moyens divers pour affronter les oppresseurs et exploiteurs en tout genre, a vu fleurir des outils théoriques et idéologiques qui entendent servir non seulement ses intérêts, mais aussi ceux de l’humanité toute entière.
Si la mémoire des Hommes est un outil formidable, le rôle des organisations du mouvement ouvrier est de servir de pont entre les générations prolétariennes, d’être le souvenir vivant de ceux qui sont morts. Et d’autant plus lorsqu’il s’agit d’un parti communiste, qui est censé synthétiser les enseignements du passé lointain avec celui du moment immédiat, pour impulser une pratique, une théorie et une ligne qui soient en adéquation avec le contexte tel qu’il se pose à nous. L’histoire du mouvement ouvrier dans son ensemble est riche d’enseignements, à la condition de la prendre telle qu’elle est et non pas comme nous souhaiterions qu’elle soit.
Assumer son histoire
L’histoire des partis communistes et des États socialistes telle qu’elle a véritablement été est un sujet inévitable pour les militants communistes.
Nous considérons que l’ensemble des expériences du mouvement ouvrier méritent d’être étudiées. Ainsi, nous ne jetons pas d’anathème à priori sur telle ou telle expérience d’un parti communiste ou d’un État prétendant se diriger vers le socialisme, et c’est d’ailleurs une méthode saine que de laisser temporairement son jugement de côté lorsque l’on cherche à comprendre et à connaître. Nous jaugeons les éléments qui nous sont donnés avec une grille d’analyse marxiste révolutionnaire, pour critiquer et trouver les causes des aspects négatifs et en extraire des leçons précieuses. Cela ne veut pas dire que nous agissons comme de simples consommateurs faisant nos emplettes dans les rayons de l’histoire. Non, nous acceptons l’héritage socialiste dans son ensemble : que nous le voulons ou non, les communistes du monde entier, toutes tendances confondues, sont associés par la masse à un bloc historique monolithique. Le cynique, qui renvoie dos à dos l’ensemble des expériences socialistes, et le militant communiste honteux, qui se débarrasse de pans entiers de son histoire, sont deux faces d’une même pièce.
Nous ne pouvons nous départir des horreurs commises, des crimes des États socialistes, des erreurs de tel ou tel parti communiste, de la même manière que nous leur serons toujours redevables pour les combats qu’ils ont menés contre le capitalisme, contre l’exploitation et pour l’émancipation du genre humain. De Lénine à Sankara, de Cuba à l’Albanie, de l’infirmier stalinien à l’ouvrière trotskiste, nous prenons le parti de dire que ces militantes et militants portaient, au-delà des divergences et des contextes, un projet que nous défendons toujours aujourd’hui, la vision du monde que nous partageons : celui du communisme.
Oui, les communistes doivent assumer leur histoire, pour le meilleur comme pour le pire. Assumer, comprendre, ne veut pas dire que nous ne sommes pas capables d’expliquer, de critiquer, et, au final, de juger. Assumer, c’est pouvoir regarder droit dans les yeux nos ennemis et pointer les contradictions de leurs passés respectifs. Assumer son histoire, c’est pouvoir aller de l’avant.
Aller de l’avant et trier les étiquettes
Une fois cela dit, on n’a finalement rien et tout dit en même temps. Reconstruction Communiste se positionne évidemment dans un prolongement historique plus précis que le grand ordre des choses communistes.
Descendant des partis maoïstes et hoxhaïstes qui ont refusé le révisionnisme de l’Union soviétique et des partis issus de la IIIème internationale à partir des années 1960, nous sommes issus de ces groupuscules qui aujourd’hui entendent reconstruire un parti communiste en France. Là aussi, un lourd passé nous entrave, nous embrume l’esprit. Si Staline et ses partisans ne sont pas les seuls responsables des échecs collectifs du camp communiste au 20ème siècle, ils ne sont pas moins coupables de crimes et d’erreurs dont les ondes se font encore sentir. De même, le maoïsme et l’hoxhaïsme ont eu le mérite d’offrir une tentative de critique du stalinisme, sous un prisme différent de la critique historique des communistes de gauche et des trotskistes. Pour autant, ces deux courants ont évolué, sous le poids de leurs contradictions, vers le nationalisme et/ou vers le dogmatisme, pour ne citer que leurs dégénérescences les plus évidentes. Mais ces considérations historiques deviennent pour la plupart des jeux d’historiens : le débat “Trotski contre Staline” est-il réellement prioritaire au 21ème siècle, alors qu’il n’existe plus de régimes socialistes, et que les organisations se revendiquant du trotskisme souffrent pour certaines de bien des maux alors attribués aux staliniens ?
Se revendiquer communiste, révolutionnaire ou encore marxiste-léniniste est déjà un programme en soi, alors veillons à ne pas nous enfermer dans des prisons remplies de fantômes. Les tâches qui nous attendent sont nombreuses, et rien ne nous dit que Reconstruction Communiste arrivera à se démarquer des autres groupuscules communistes. Nous entendons bien tirer toutes les leçons du passé, celui qui a toute l’épaisseur du mouvement ouvrier comme celui de nos vies individuelles, pour participer activement à reconstruire un parti communiste capable de renverser la bourgeoisie et de construire un avenir socialiste.
Reconnaître sa faiblesse
Contrairement à la vision de certaines organisations révolutionnaires, le fait est que nous vivons une période où le prolétariat français se trouve dans une grande faiblesse politique. Par ailleurs, l’argument de la masse, qui relie de manière mécanique nombre et force politique, ne saurait convaincre que les convaincus.
Faire l’inventaire des raisons de cette faiblesse historique mériterait un texte entier, mais nous pouvons toutefois résumer sommairement les lignes de force de cette trajectoire descendante ; une trajectoire dans laquelle le prolétariat français a été affaibli structurellement et frappé idéologiquement.
D’abord, les fruits de l’impérialisme et les compromis d’une bourgeoisie qui a su lâcher du lest face au danger communiste, ont pu, après la Seconde Guerre mondiale, donner l’illusion d’une accumulation de réformes et de luttes sectorielles qui permettraient une transition pacifique vers la société socialiste.
Le parti communiste français, habillé du drapeau national, a accompagné très tôt ces évolutions, alimentant de surcroît les illusions sur “la défense des intérêts français”, liant ainsi directement les intérêts du prolétariat français à ceux de sa bourgeoisie.
Quand les évolutions de la division internationale du travail ont déplacé ce qui était le centre névralgique du prolétariat français, à savoir le prolétariat industriel, vers les pays anciennement colonisés, le ver était déjà dans le fruit depuis longtemps. Privé de sa base organisée, avec une direction capitularde et alors qu’ailleurs “le socialisme réel” craquait de toute part, le prolétariat français ne fit pas le poids face à une bourgeoisie ragaillardie ayant oublié toute notion de “compromis”.
Nous vivons les conséquences directes de cette séquence historique.
La conscience de classe du prolétariat est réduite à son minimum. Le phénomène se nourrit et induit, dans le même mouvement, un affaiblissement des réflexes de solidarité, de mise en œuvre de l’action collective, et empêche même la réflexion à ce sujet. Et c’est en partie à cause de ce recul “subjectif” de la conscience collective qu’arrivent les défaites qui viennent miner plus encore le moral de ceux qui y croient encore un peu, avec la généralisation de l’attentisme, du pessimisme. S’identifient d’ailleurs ici quelques-uns des maux de notre temps, à savoir l’individualisme – dans son sens le plus bête –, la passivité et la résignation.
Cette inconscience de classe, à son tour, nourrit et se nourrit de l’absence de transmission d’expérience de l’activité militante, la part la plus vivante de notre histoire, nous militants communistes. Le recul de l’emploi de la grève comme moyen d’action, la mobilisation d’actions symboliques sans suite, tout est le signe de la rouille des outils de lutte. Sans les organisations syndicales et politiques capables de produire des retours critiques sur l’histoire des luttes passées, la frange conscientisée du prolétariat est condamnée à reproduire à chaque génération les mêmes erreurs.
Les syndicats de lutte et les organisations communistes sont faibles, alors le prolétariat se trouve privé de ses outils naturels de combat. Sans cette force collective, il se trouve dénué de clés de lecture du monde, de la possibilité d’une société à venir, des idées qui sont censées représenter ses intérêts depuis son point de vue propre. Des franges de plus en plus larges de la classe des exploités se livrent en pâture aux idées réactionnaires, libérales et individualistes qui pullulent. Le collectivisme est renversé en particularisme, en nationalisme, en esprit de clan ; s’il y a un progrès, ce n’est que celui de l’intérêt particulier, ou de son identité spécifique. Au sein des organisations de la classe en déroute se développent tous les éléments de l’opportunisme droitier, de l’affadissement des idées progressistes et surtout des idées révolutionnaires.
L’école du communisme en crise
Les crises à venir comme celles déjà entamées, qu’elles soient climatiques, économiques ou guerrières, sont et seront autant de vifs rappels que l’histoire n’est pas figée, que la défaite du prolétariat est temporaire. La bourgeoisie française accélère son offensive et ne se pare plus d’aucun masque de compromis. Les luttes économiques défensives sont balayées une à une. Que font en réponse les organisations syndicales ? À vrai dire, pas grand chose.
Les syndicats comme la CGT souffrent du poids mort de leur bureaucratie, qui a été intégrée depuis longtemps dans le fonctionnement institutionnel. Pourtant, nous ne pouvons pas non plus faire reposer tous les maux des syndicats sur leurs directions. C’est le manque de militants, la perte de savoir-faire qui amène à des luttes de factions internes, à l’opportunisme, et fort logiquement, à la compromission. En parallèle, une grande partie des travailleurs s’écartent des syndicats, tandis que les syndicats se détournent d’une grande partie des salariés mais aussi des chômeurs et des travailleurs en formation. Il leur est difficile d’identifier la physionomie nouvelle du prolétariat.
Quand même la social-démocratie n’y arrive plus
Du côté des organisations politiques, la social-démocratie, incarnée actuellement par La France Insoumise et le Parti Communiste Français, poursuit deux lignes opposées, mais se partage le même axe : l’électoralisme.
Le PCF, qui a renié toute approche marxiste, joue la carte de l’intégration à la République bourgeoise en espérant pouvoir un jour y exister comme son aile gauche. Et cela se traduit par un opportunisme et un suivisme idéologique effrayants, qui le pousse chaque jour un peu plus dans ses profondes contradictions, alors que s’accélèrent la droitisation de la société et le tournant autoritaire du cadre républicain français.
La France Insoumise cherche à renforcer ses conquêtes électorales, à grand renfort d’effets de style et de fascination pour son orateur, déclamant le retour du peuple contre les élites. Mais lorsque l’on regarde de plus près, la France Insoumise est une organisation social-démocrate classique, ne remettant nullement en cause le capitalisme (en dehors de quelques envolées lyriques de ses tribuns), et n’ayant aucun recul critique sur le rôle de la France comme puissance impérialiste. Elle pousse même le vice plus loin en étant, à l’instar d’autres formations social-démocrates, la farouche défenseuse d’un impérialisme franco-français qui serait apparemment plus doux que celui de la bourgeoisie allemande ou états-unienne. N’étant à l’initiative que de leurs campagnes électorales, et en attendant la suivante, ils s’agrippent à telle ou telle lutte en cours, tous drapeaux dehors, et nourrissent leur cheptel d’élus, ceux déjà-là et ceux qui ont réservé leur place en avance.
Et les révolutionnaires, dans tout ça ?
Les plus grosses difficultés à assumer un discours anti-capitaliste, socialisant voire même communiste, semblent derrière nous. La génération post-Chute du Mur, libérée des plus gros clichés issus de la Guerre Froide, devient susceptible de renouer avec un projet communiste.
C’est néanmoins au même moment que l’autoritarisme et la montée de la réaction menacent les organisations révolutionnaires.
Sans entrer dans le détail des causes, il est clair que c’est la mouvance trotskiste qui est aujourd’hui devenue hégémonique dans le camp révolutionnaire en France. Elle porte encore une volonté de dépasser le capitalisme, malgré ses luttes internes, et de nouvelles organisations émergent même au niveau national, comme Révolution Permanente. De leur côté, les chapelles marxistes-léninistes sont en décomposition-recomposition perpétuelle, en déclin définitif pour certaines, en plein développement pour d’autres. Il semble être encore trop tôt pour dessiner des tendances concernant ce milieu, mais, bien sûr, Reconstruction Communiste entend avoir un rôle actif en son sein.
Cesser de s’apitoyer sur son sort
Après avoir additionné les constats morbides, vient le moment où il faut arrêter de se lamenter, cesser de seulement constater et agir, remettre l’histoire en marche. Si la gauche française est bel et bien dans la situation que nous décrivons, vivant un de ses moments les plus difficiles dans lequel le prolétariat ne se reconnaît plus lui-même, alors la conclusion doit être tout sauf défaitiste.
Nous vivons en effet une période où le besoin de reconstruction et de reconstitution d’organisations de classe sur des bases adéquates est plus que jamais nécessaire.
La grande question du parti communiste
De nombreuses organisations politiques font le choix, par habitude ou par prétention, de s’appeler “parti communiste”. Cette appellation n’est pas anodine, et renvoie à une organisation politique qui possède des qualités bien particulières. Deux formes principales de partis communistes existent : d’abord le parti de masse, auquel tout militant peut adhérer, dès lors qu’il se définit et se qualifie de communiste, ensuite le parti de type léniniste, composé de cadres révolutionnaires, qui ont pour fonction d’organiser et de diriger stratégiquement le mouvement ouvrier vers la révolution, puis d’en assurer la pérennité. C’est au parti de type léniniste que les militants de Reconstruction Communiste font référence lorsqu’ils parlent de “parti communiste”.
Mais un gouffre sépare la secte ou le groupuscule politique du parti communiste, un gouffre qu’il n’est possible de franchir qu’avec un important saut qualitatif. Le dépassement du stade groupusculaire, jusqu’à atteindre celui de parti, nous met face à une problématique : qu’est-ce qu’un parti communiste, et est-ce que Reconstruction Communiste est ou veut être un parti communiste ?
Une direction révolutionnaire pour les masses
Un parti communiste a la capacité effective d’organiser l’activité de ses militants, qui sont des révolutionnaires susceptibles de guider les masses dans le sens d’une transformation fondamentale de la société. Le lien avec les masses s’opère souvent au-travers de l’intervention des militants révolutionnaires dans des organisations de masses.
Les organisations de masses du mouvement ouvrier, comme les syndicats par exemple, ont un rôle de premier plan dans la structuration du prolétariat. Elles permettent de renforcer la conscience de classe des travailleurs et de porter la lutte sur des revendications immédiates, souvent liées au salariat (hausses de salaires, primes, avantages en nature, cantine ou crèche d’entreprise, etc.). Mais parallèlement, ces revendications s’érigent à partir d’une conscience de classe qui est faible, immature : les revendications immédiates ne sont pas forcément étendues à toute la classe, et elles peuvent rester corporatives, sectorielles ou ne concerner qu’une seule entreprise, ou qu’une seule frange des employés d’une entreprise. De plus, ces victoires sont cantonnées au cadre national, et sans intervention politique capable de leur donner du corps, elles peuvent conduire à une dérive économiste, qui prospère dans les pays capitalistes développés. La dérive économiste consiste en une perte de vue des objectifs politiques de la lutte révolutionnaire au profit de ses seuls objectifs économiques à court terme.
Le développement de la conscience de classe ne peut donc être réduit à la seule lutte syndicale. Néanmoins, la lutte syndicale peut être un moyen pour développer la conscience de classe si les militants syndicaux ont eux-mêmes une forme de conscience politique développée.
De la conscience de classe à l’action révolutionnaire
Si le développement de la conscience de classe du prolétariat est un prérequis indispensable pour la mise en place du socialisme, elle n’est pas suffisante pour abattre le système capitaliste. Pour permettre une telle transformation de la société, pour en finir avec l’exploitation de l’homme par l’homme, il est nécessaire de développer une conscience révolutionnaire.
Le parti communiste doit sans cesse pousser la classe ouvrière à se saisir de la question de la prise du pouvoir. Pour ce faire, nous devons entre autres pointer les limites de l’économisme, qui réduit l’ampleur des intérêts du prolétariat à ce qui est gagnable immédiatement dans le cadre du système capitaliste, et qui est donc aveugle à ses intérêts de long terme : le renversement de toute la société bourgeoise pour construire une société socialiste. Nous devons lever le voile sur les sociaux-démocrates, qui ne remettent pas en question les fondements du capitalisme mais cherchent à l’aménager pour rendre l’exploitation plus douce pour les travailleurs des pays impérialistes.
La conscience révolutionnaire que nous cherchons à esquisser peut émerger de la conscience de classe des travailleurs, lorsque ces derniers comprennent que seule la voie révolutionnaire permet d’en finir une fois pour toute avec l’exploitation capitaliste. Cela ne veut pas dire que c’est la seule manière pour cette conscience d’émerger ; en tant que communistes, nous souhaitons intervenir sur tous les aspects de la vie politique. Néanmoins, au regard de l’historique de la lutte des classes, c’est de cette manière que la conscience révolutionnaire est en mesure d’acquérir un caractère de masse.
Nous pouvons dès lors conclure que ce sont les militants les plus conscients et les plus actifs qui doivent constituer les rangs de l’avant-garde du mouvement ouvrier, capables de donner du sens à la lutte révolutionnaire, sens qui n’existe pas à priori dans l’engagement des travailleurs.
Pour ces militants, pointer les limites des impasses que sont le réformisme et l’économisme, tout comme chercher à développer la conscience de classe et la conscience révolutionnaire, ne sont pas des éléments suffisants : il leur faut construire les outils nécessaires pour faire la révolution.
Lier la masse des prolétaires à son parti, lier le parti avec sa base prolétarienne
Incontestablement, la direction du mouvement ouvrier ne doit pas être le fait d’une avant-garde toute puissante qui commanderait directement les travailleurs. Guider les travailleurs dans les traces de la révolution n’est possible que s’ils consentent à cette direction, participent activement à cette direction, et perçoivent le parti communiste comme un outil d’émancipation effective de la classe. Sans ces éléments, qui demandent tous de l’activité plus que des mots, la direction véritable du mouvement ouvrier échappera systématiquement aux organisations politiques communistes.
Le parti communiste doit organiser les éléments les plus avancés et révolutionnaires des classes populaires, c’est entendu. Mais ses militants, pour avoir une influence sur le réel, doivent être aux côtés des travailleurs dans les différentes organisations du mouvement ouvrier et dans les luttes immédiates du prolétariat. Ils doivent se faire connaître en tant que communistes, et avoir un rôle actif et structurant dans le travail avec les masses. Pour le dire de manière plus prosaïque, ils doivent être vus comme des personnes de confiance, des personnes capables d’avoir un rôle moteur dans les syndicats, être connus sur leurs lieux de travail, dans les associations de solidarité, les associations culturelles, les associations sportives ou politiques ainsi que dans leurs lieux de vie. C’est seulement de cette façon que les militants communistes gagneront la légitimité de leur travail de direction.
Ce travail au sein du mouvement ouvrier permet également de faire progresser les idées révolutionnaires dans les masses, et d’améliorer la capacité de notre classe à s’organiser efficacement. L’action des militants communistes dans les luttes immédiates est l’occasion de démontrer l’efficacité du principe de l’organisation, de ses pratiques, et de dénoncer les différentes politiques opportunistes qui coexistent dans le mouvement ouvrier. Le parti, à travers ses militants, doit participer à la structuration et à l’organisation du mouvement ouvrier tout en diffusant par la propagande et l’agitation les idéaux communistes. C’est de cette façon que l’influence du parti croît, jusqu’à modifier durablement les réflexes et les pratiques du prolétariat. Cette transformation va jusqu’à impacter les expressions “spontanées” de la classe ouvrière, qui utilisera plus facilement les outils révolutionnaires que les communistes proposent.
Coordonner, planifier, exécuter
S’il est nécessaire pour le parti communiste d’avoir ce rôle de direction au sein du mouvement ouvrier, c’est avant tout dans le but d’être capable de conduire le prolétariat jusqu’à la prise du pouvoir et au renversement de la bourgeoisie. Et c’est à l’occasion d’une crise que la révolution trouvera les bases sociales nécessaires pour être réalisée ; jusqu’à ce que ce soit la révolution elle-même qui devienne la crise. Dans une situation de crise, où le pouvoir est fragilisé tandis que les différentes couches du prolétariat sont en pleine effervescence politique, toute transformation radicale de la société est impossible sans une organisation centralisée, capable de jouer le rôle d’état-major de la révolution. Une victoire politique et militaire sur la bourgeoisie ne peut se concrétiser par une action spontanée et désordonnée des masses, mais nécessite au contraire une direction politique unifiée capable d’analyser les évènements avec justesse, de pousser en avant les luttes du prolétariat, de lui fournir les outils nécessaires pour attaquer lorsque le moment est propice à l’offensive, aussi bien que pour opérer des replis tactiques lorsque l’ennemi dispose de forces supérieures.
Au-delà, le parti est aussi chargé de rattraper ses propres erreurs, de comprendre quel est le rythme de la vie politique et sociale, d’apprendre du réel pour percevoir quelles sont les potentialités du moment. Avant de parvenir à diriger réellement le mouvement ouvrier dans ses luttes vers la révolution, le parti doit se doter d’une ligne stratégique claire et applicable.
La démocratie comme outil d’élaboration de l’orientation politique
Il est peu probable que la révolution qui libérera l’humanité de l’exploitation soit le fruit d’un “grand soir”, durant lequel les masses se lèveraient spontanément pour renverser l’ordre établi. Il faut minutieusement préparer la prise du pouvoir politique et la transformation radicale de la société, pour préparer et percevoir le moment où s’ouvrira l’opportunité. Cette préparation implique la diffusion de nos idées dans les masses, la formation de cadres révolutionnaires, mais également l’élaboration d’une ligne stratégique.
Cette ligne stratégique doit guider les actions des militants communistes et des masses au sein de la lutte des classes, en gardant comme objectif la prise du pouvoir et la construction d’un nouvel ordre social. Afin de rester en accord avec le réel, cette ligne doit tenir compte de l’évolution de la conjoncture politique, c’est-à-dire de l’état de la lutte des classes à un moment donné.
La ligne stratégique se décide au sein du parti communiste et doit être le résultat d’une réflexion collective des militants. Pour cela, la confrontation des points de vue, des analyses et des propositions est nécessaire. Cette confrontation a besoin de cadres démocratiques clairs et définis pour pouvoir se réaliser. La démocratie interne au parti communiste ne peut être seulement vue sous un prisme moral, mais également comme un outil pragmatique permettant de faire émerger les idées et de les renouveler, mais aussi de renforcer la cohésion du groupe, la qualité des dynamiques de groupe et la discipline militante. C’est aussi par ces processus démocratiques sains et réels que se construit le consentement à la direction.
La bonne définition des cadres délibératifs et d’échanges est également indispensable pour ne pas verser dans l’illusion de la démocratie horizontale, un “démocratisme” dans lequel toute action, tout choix, tout événement est susceptible d’être débattu sans fin, retardant le moment décisif de l’action concrète. Parce que lorsque le parti communiste doit agir, il doit le faire d’un seul tenant, frapper juste et fort dans le cadre de l’objectif qui a été collectivement décidé. La démocratie interne du parti communiste doit être ferme et respectée par tous les communistes du parti, selon la formule consacrée : “liberté totale dans la discussion et unité totale dans l’action”.
Il ne faut cependant pas se bercer d’illusions : le maintien d’un cadre démocratique fonctionnel est un défi de chaque instant que de nombreuses organisations n’ont pas su relever. Il est important de rester conscients des difficultés que cela représente, mais il est du devoir des communistes de relever ce défi par tous les moyens.
La préservation de la démocratie fonctionnelle en interne passe également par un partage des tâches qui soit suffisamment diffus parmi les militants, afin d’éviter que la capacité d’agir dans tel ou tel domaine ne soit concentrée qu’entre quelques mains. Nous soutenons donc que la formation est un constituant essentiel d’une organisation politique communiste saine.
L’importance de la formation des militants
Les tâches internes à un parti communiste comprennent entre autres l’organisation d’actions, la collecte des cotisations, la logistique des livres, drapeaux, meubles, etc. En bref, nombre de tâches relèvent de la gestion propre à l’organisation. La capacité à réaliser ces tâches demande déjà un apprentissage. Plus encore, la formation pratique et politique de militants révolutionnaires, qui va plus loin que la seule participation à la vie concrète du parti, qui conduit à la réflexivité et à la capacité à diffuser largement les idées communistes dans la population, est particulièrement importante.
Il ne s’agit pas de faire du lavage de cerveau à travers la formation, loin de là. Nous avons besoin de militants pragmatiques, disposant d’un véritable esprit critique et de capacités à s’adapter à des situations variées. Un parti communiste doit pouvoir transmettre aux militants les fondements théoriques et méthodologiques du marxisme ainsi que des informations sur les expériences passées du mouvement communiste et leurs leçons. Il se doit de renouveler le corpus de connaissances des communistes avec les travaux scientifiques contemporains. Il se doit aussi de disposer des outils nécessaires pour permettre aux militants de critiquer une ligne politique, d’éviter les effets de groupe moutonniers, de savoir arrêter une conversation, de pointer les erreurs des autres et les leurs, etc.
Cet apprentissage à proprement parler politique est bien évidemment indispensable aux communistes, mais il faut faire attention à ne pas s’enfermer dans une théorie stérile qui ne chercherait qu’à emmagasiner des connaissances totalement déconnectées de notre pratique militante. Le parti doit donc insister sur les compétences pratiques des militants, que ce soit en termes d’organisation, de rhétorique, d’expression écrite, etc. Un parti révolutionnaire doit pouvoir donner à des générations de communistes les outils théoriques et pratiques pour leur permettre de comprendre le monde et pour le transformer.
Nous devons par ailleurs rester vigilants pour éviter à la fois la fascination pour la théorie abstraite sur laquelle le réel devrait prendre exemple, et à la fois l’illusion que le terrain est “plus vrai” que toute abstraction théorique.
Cette double formation intellectuelle et pratique est cruciale pour le débat démocratique au sein du parti et dans les différentes organisations dans lesquelles il intervient. Une base solide de connaissances permet aux militants de participer de manière éclairée et constructive aux discussions, d’élaborer des stratégies efficaces en renouvelant les idées révolutionnaires. La formation ne se limite pas à l’acquisition de savoirs, c’est un élément essentiel de la vie concrète du parti, développant d’un même mouvement la compétence individuelle et la compétence collective.
Ainsi, forcément, le parti communiste se doit d’assumer son rôle dans la production théorique communiste, et donc de produire une analyse poussée de notre époque, de mettre à nu les rouages du capitalisme contemporain, de comprendre les leviers dont nous disposons pour le dépasser. Cette tâche est facilitée par le fait qu’à aucun moment de l’histoire nous n’avons disposé d’autant de données et de connaissances pour comprendre précisément les évolutions de la société capitaliste. Mais le travail théorique au sein du parti communiste ne doit pas être fait par simple amour de la science, il vise à être appliqué, dirigé vers la réalisation des objectifs révolutionnaires.
En somme, il ne s’agit pas de réécrire Le Capital, mais de savoir le critiquer de manière juste et fondée.
Est-ce que Reconstruction Communiste est ou veut être un parti communiste ?
Il est donc maintenant facile de répondre à cette question, à sa première partie en tout cas : non, Reconstruction Communiste n’est pas un parti communiste en l’état actuel des choses. Quant à la seconde partie, l’honnêteté est de dire que, oui, Reconstruction Communiste aimerait être un parti communiste.
Entre nous, nous préférons appeler notre organisation “RC” pour plus de facilité. Mais le nom complet, “Reconstruction Communiste”, souligne en lui-même que nous savons que nous ne sommes qu’une entité d’un épisode transitoire dans la lutte pour le communisme. De plus, il est important de noter qu’être une petite organisation cohérente, avec une ligne politique et des objectifs réalistes et réalisés, demande déjà beaucoup de travail et de temps.
Reconstruction Communiste, dans notre époque
Après ces considérations très générales mais nécessaires, il est temps d’évoquer plus précisément la ligne que porte aujourd’hui Reconstruction Communiste, et ce que notre organisation considère comme étant les tâches immédiates et atteignables pour les communistes en France.
La place de l’internationalisme
Pour savoir ce que les communistes doivent faire en France, nous devons paradoxalement être en mesure d’intégrer à notre réflexion et à notre action ce qu’il se passe en dehors des frontières du territoire français.
En effet, à l’heure du capitalisme globalisé, de l’interconnexion des économies et de la communication mondialisée, l’internationalisme semble plus que jamais représenter une nécessité stratégique pour les communistes. D’autant plus que la lutte pour la conscience de classe et contre les idées réactionnaires doit particulièrement se nourrir des idéaux de l’internationalisme.
Dans un premier temps, nous rejetons la thèse chauvine faisant de l’internationalisme une simple addition de différents nationalismes ou patriotismes, chacun ayant fait sa révolution, et que de cette addition apparaîtrait, par la magie indéchiffrable de la dialectique, un monde où les nationalismes s’accorderaient les uns avec les autres, tout en gardant leur pré-carré national spécifique. Selon nous, l’internationalisme est, au contraire, un principe communiste fondamental, celui du dépassement des nations de l’ère capitaliste. S’il est probable que les États prolétariens dans leurs premiers moments d’existence puissent garder des formes héritées des Etats-nations, il est néanmoins nécessaire de chercher à constituer des formes nouvelles de nations socialistes qui aboliront les frontières sociales, économiques et politiques héritées du capitalisme.
Cette mission historique nécessite une structuration des communistes à l’échelle planétaire. Elle vise la coopération internationale des partis communistes du monde entier, inégaux dans leurs forces et ayant leurs contextes respectifs, en vue de la conquête du pouvoir politique. L’aggravation de la répression dans de nombreux pays conduira certainement à l’exil de nombreux militants communistes, et ceux qui les accueilleront dans leur pays auront fait honneur au mot “camarade”. C’est parce qu’il existe des communistes quelque part que d’autres pourront potentiellement rentrer d’exil. Il n’y a internationalisme que parce qu’il y a des actes qui dépassent les nations.
Pour l’heure, Reconstruction Communiste compte peu de liens avec des camarades à l’étranger, mais nous les maintenons fermement et apprenons mutuellement les uns des autres, de nos erreurs comme de nos victoires. La faiblesse des relations internationales entre communistes, ou leur absence de consistance, est aussi le reflet du faible niveau de développement des organisations dans chacun de nos pays.
Évidemment, l’existence d’une activité politique concrète dans les pays respectifs est déterminante dans le développement local de toute organisation communiste, et tout ne peut pas être corrigé par une intervention ou des conseils de camarades étrangers. Il faut en conclure que, pour l’heure, les organisations communistes doivent se concentrer en priorité sur leur développement à l’échelle nationale avant de consacrer de plus grandes forces à l’international. Un parti nationalement fort sera toujours plus à même de dispenser son aide effective, de même que plusieurs partis solidement développés pourront élever le niveau de la lutte des classes à l’échelle internationale.
Nous revenons donc à notre interrogation initiale : pour nous communistes en France, que faire ?
L’unité des communistes en France
La première réponse, surgissant automatiquement, est celle de l’unité des communistes.
C’est par ailleurs une question historique chez les communistes révolutionnaires, et il serait difficile de compter les tractations et rapprochements qui ont pu échouer depuis le début des années 2000. Nous sommes nous-mêmes issus d’une organisation, qui est elle-même le fruit d’une tentative de fusion de différents groupuscules, et nous en sommes sortis avec des leçons claires.
Il existe un fossé générationnel dans le mouvement communiste français entre ceux qui sont nés au moment de la Seconde Guerre mondiale et ceux qui sont nés sur les décombres du 11 septembre 2001. Ce fossé n’est pas vide, mais il est fait d’une génération de communistes qui se sont enfermés dans le dogme au fur et à mesure que s’éloignait la lutte finale, regroupés dans de petites organisations sectaires pour préserver une légère flamme. Formés à une époque où l’idéologie était aussi une forme de scolastique rouge, où le foisonnement militant pouvait générer des querelles de chapelles, ils ont vécu sans y prendre garde la dégénérescence progressive de leur engagement : de moins en moins de camarades, de moins en moins de luttes de libération nationale, des chutes de murs, une fin de l’Histoire. Ils auront été malgré tout des passeurs, envers lesquels nous sommes reconnaissants. Mais nous voilà loin des années soixante et soixante-dix, et le courant marxiste-léniniste en France semble bien se trouver dans l’abîme. La jeune génération de révolutionnaires a dû et doit encore se serrer les coudes pour faire face au quotidien d’un capitalisme autoritaire et décomplexé. Et c’est particulièrement la nécessité qui nous ramène à la question de l’unité des communistes, tandis que la disparition de l’ancienne génération et de ses organisations réduit impitoyablement le nombre de chapelles concurrentes, et modifie la nature des rapports entre elles.
Si Reconstruction Communiste affirme que l’unité des communistes en France sera une étape nécessaire à la formation d’un nouveau véritable parti communiste, nous ne subordonnons pas toute notre activité à l’accomplissement de cette tâche. Au contraire, nous préférons nous consacrer à l’élaboration d’une organisation capable de se développer par ses propres forces, avec une base saine sur laquelle construire l’unité avec d’autres. C’est de cette dynamique combinant rapprochement théorique et pratique avec les uns, et rapport de force avec les autres, que nous pourrons voir émerger les fondations sur lesquelles peut naître l’unité des communistes.
Former des cadres
L’organisation capable de se développer par ses propres moyens, celle que nous essayons de bâtir avec Reconstruction Communiste, prend une forme spécifique liée à notre analyse du contexte.
Nous avons analysé notre époque comme l’époque d’un recul violent du mouvement ouvrier. Ainsi, les membres conscientisés de la classe sont peu nombreux et désorganisés. L’addition de personnes sans encadrement, sans formation ou sans objectifs sérieux et précis ne peut que dériver en parti de masse atone ou en un chaos perpétuellement prêt à imploser.
Face à ce constat, nous optons pour un modèle organisationnel rigoureux dans le choix des membres. Nous avons formalisé une période probatoire, un moment spécifique avant que l’adhésion ne soit définitive, destiné à donner les moyens au potentiel de chacune et de chacun de s’épanouir pleinement dans l’activité militante, et qui permet de confirmer à l’organisation comme à la personne leur cohérence réciproque. C’est de cette manière que nous tâchons de recruter des personnes motivées, formées et capables de remplir les tâches de cadre communiste dans les organisations de masses dans lesquelles nous intervenons.
Nous vivons une époque où le libéralisme et l’individualisme détruisent les militants. Reconstruction Communiste essaie de proposer un cadre collectif sain, démocratique, où les tares du milieu militant sont combattues, pour offrir tout à la fois un avant-goût de la société nouvelle que nous désirons, et une base stable sur laquelle construire. Pour nous, chaque militant recruté par l’organisation est une personne qui est en évolution, particulièrement sur le long terme. Si nous avons un dogme, c’est celui de refuser de voir en un militant une ressource qui doit être consommée.
Cela suppose que l’organisation dans son ensemble fasse l’effort nécessaire pour offrir à ses militants une formation renforcée, pour leur proposer un militantisme compatible avec leur vie personnelle et professionnelle. En effet, si la révolution est notre objectif, c’est aujourd’hui un horizon lointain : l’heure est à un patient travail de construction, et nous devons apprendre à nous hâter lentement. Jeter toutes nos forces dans la bataille à grand renfort de volontarisme et de discours galvanisants sur l’imminence de la révolution ne conduirait selon nous qu’à sacrifier l’avenir et l’énergie de notre mouvement, pour un résultat bien maigre.
C’est de cette base assez terre-à-terre que nous souhaitons faire émerger le noyau qui arrivera à construire un nouveau parti communiste révolutionnaire, qui permettra de dépasser la terrible période des groupuscules communistes, qui pourra enfin proposer un outil d’émancipation solide à notre classe.
Sur les oppressions
Si les communistes veulent abolir l’exploitation et la domination, ils doivent alors considérer toutes les formes de domination, y compris celles qui ne sont pas directement issues de l’exploitation économique. C’est une leçon que les communistes ont dû apprendre, souvent malgré eux, mais une leçon importante.
Ainsi, Reconstruction Communiste soutient activement les luttes de libération des femmes et des personnes LGBTI, condamne le racisme tout autant que la xénophobie – en bref, l’idéologie réactionnaire, quelle que soit sa forme. Ces luttes sont arrivées progressivement sur le devant de la scène depuis une cinquantaine d’années mais ont des racines bien plus profondes, et un lien organique, contradictoire, avec l’histoire du mouvement communiste.
L’état actuel de ces luttes est un reflet déformant de l’état global du mouvement ouvrier : l’un est massif et dans son époque comme l’autre faible et ringardisé. Et cela ne doit en aucun cas être une excuse pour s’en détourner : aucun pan de la société n’échappe à l’hégémonie bourgeoise, et c’est de notre devoir d’apporter une perspective de classe, une perspective communiste au sein de ces combats. Le terrain sur lequel se placent majoritairement ces luttes dans la période actuelle n’est pas le nôtre, il est celui du postmodernisme, du relativisme, où tout est jeu de langage, où se mêlent l’affirmation individuelle et la représentation collective. Idéalisme pas sans pertinence, mais qui se détourne des conditions matérielles d’existence.
Les luttes politiques ne se font pas uniquement sur le champ économique, c’est par ailleurs une conception absurde qui est une des formes que peut prendre l’économisme. Non, c’est la lutte politique dans son ensemble qui est le terrain des communistes, et alors tous les champs sont concernés. Nous devons lutter contre les idées réactionnaires quel que soit le voile idéologique ou religieux dont elles peuvent se parer, y compris lorsqu’il est rouge. Mais il est aussi facile de se proclamer contre toutes les discriminations que de se laver les dents. Aussi, notre vigilance, c’est que les comportements sexistes, homophobes, oppressifs de toutes sortes dans notre organisation soient rejetés comme tous les autres comportements de violence physique ou psychologique. C’est une lutte interne, qui a pour objet les pires comportements sociaux.
Si en tant que militants communistes nous luttons pour une société libérée de l’exploitation et des oppressions, en aucune façon nous ne sommes des entités flottant au-dessus de la masse. Nous sommes aussi faits des défauts de la société dans laquelle nous évoluons, et que nous voulons changer en profondeur.
Et la révolution…
Nous ne disposons pas encore du capital théorique et militant pour parvenir à la révolution, et nous ne pouvons pas nous baser sur une expérience récente et contemporaine pour définir ce que serait une prise de pouvoir dans un pays impérialiste au 21ème siècle.
Le processus révolutionnaire n’est pas la simple accumulation de force, guettant le moment d’une hypothétique grève générale politique pour se libérer. Cette perspective nous paraît largement insuffisante compte-tenu de l’immense arsenal à disposition de la bourgeoisie, et ce serait une faute immense que de sous-estimer l’État bourgeois, même sous sa forme libérale.
La prise du pouvoir est un événement politique à composante militaire, et elle doit être envisagée ainsi. Dans l’état actuel de nos réflexions, nous n’adhérons toutefois pas à tel ou tel dogme militaire communiste préétabli car nous pensons que les modalités révolutionnaires seront le fruit de l’élaboration concrète du mouvement communiste international et non la grande répétition d’une expérience passée.
Et maintenant ?
Voici donc le moment de se rapprocher enfin de la réalité, de laisser les idées et les projets prendre corps, tout en restant accessible selon nos moyens.
Rappelons cette évidence : un cadre communiste n’est pas un intellectuel dans sa tour d’ivoire, il fait partie de la société telle qu’elle est, et sa tâche première est d’agir en communiste dans les endroits où il vit et dans les lieux qu’il fréquente. De même, Reconstruction Communiste ne peut pas être un regroupement de conspirateurs œuvrant dans l’ombre, loin de tous, pour fomenter un coup d’État.
En conséquence, une grande partie de l’activité militante des communistes au quotidien se réalise au sein de différentes organisations de masses. Cela permet à nos membres d’apprendre en se laissant le temps, de faire des essais et de corriger les erreurs, et au final de se donner des pistes concrètes de comment il serait possible d’organiser les masses. De telles organisations ont un impact assez immédiat sur le réel, permettant de conserver la motivation qu’exige l’attente du moment révolutionnaire, et sont des lieux privilégiés pour propager nos idées de façon très large. Enfin, les organisations de masses sont le cadre qui nous permet, à nous communistes, de prendre le poul de la société, de sentir les soubresauts et les aspirations du prolétariat.
Organiser la mobilisation des masses et les inciter à participer activement à notre lutte pour l’émancipation, c’est structurer les aspects de la vie quotidienne là où la société actuelle est chaotique, où l’individu considéré comme libre et autonome est finalement plus dépendant et aliéné que jamais. Nous nous efforçons de politiser, ce qui veut dire discuter encore et encore, chasser les mystifications qui sont le socle de la perpétuation de la classe dominante, faire la propagande par le fait que s’organiser est efficace, utile, nécessaire, incontournable. Cela peut prendre la forme d’associations de solidarité ou de quartier chargées de développer des réseaux d’entraides, d’organiser les habitants face aux problèmes du quotidien, ou plus simplement de faire revivre et s’animer les lieux où l’on vit.
La lutte économique et contre l’exploitation est également une des tâches que nous devons pouvoir mener en tant que communistes. Cette lutte se mène principalement dans les syndicats. En tant que militants révolutionnaires, nous n’avons que très peu d’intérêts à gravir les échelons de la bureaucratie syndicale. Nous devons au contraire évoluer à la base, aux côtés des travailleurs, pour diffuser nos pratiques, nos mots d’ordre ; pour faire prendre conscience aux travailleurs de leurs intérêts de classe sur le temps long, et pas seulement de leurs intérêts immédiats. Nous pensons que pour que notre travail dans le champ syndical soit le plus porteur, nous devons militer au sein de la CGT, qui est encore la centrale syndicale la plus massive, et qui regroupe l’essentiel des éléments avancés du prolétariat en France. Cependant, nous ne devons pas hésiter à rejoindre d’autres structures syndicales, comme SUD ou la FSU, lorsque le contexte local le justifie.
Lorsque le cadre syndical est trop contraignant et empêche de prendre part à des mobilisations servant les intérêts du prolétariat, nous ne devons pas hésiter à dépasser ces structures pour continuer à faire avancer les luttes économiques de la classe ouvrière.
En quelque sorte, c’est une forme d’opportunisme, mais assumée : il n’est pas possible, dans le contexte français spécifiquement et dans l’état du rapport de forces en général, de construire sa propre force syndicale. La tradition française en la matière est vraiment particulière puisque toute avancée faite par les syndicats s’applique à tous les travailleurs, qu’ils soient syndiqués ou non. Mais derrière ce principe de solidarité se loge la désyndicalisation massive, et derrière l’absence de militants la coquille de l’organisation. Pourquoi ne pas faire, dans ce cas, un syndicat qui refuse la cogestion du salariat, qui ne signe pas, qui ne siège pas ? Ces syndicats existent, à l’exemple de la CNT : malgré toute la volonté des anarchistes qui en sont adhérents, (et leurs actions concrètes, avec des victoires éclatantes) le syndicalisme de lutte des classes reste confidentiel. Parce que le problème est pris à l’envers : c’est l’état de la lutte de classes qui donne l’énergie aux syndicats, et pas les syndicats qui sont le moteur de la lutte de classes. Tout au plus arrivent-ils à faire perdurer formellement cette tradition, mais cela reste du domaine du folklore et n’a plus rien à voir avec l’histoire vivante. Si action dans les syndicats français il doit y avoir, c’est en luttant idéologiquement à l’intérieur même de la bête. Le syndicat peut être un moyen de cette lutte idéologique à un moment donné ; mais il est et doit toujours rester un moyen, et ne sera jamais une fin pour un militant communiste.
Dans cet univers syndical français, le cas du syndicalisme étudiant est particulier. Jusqu’à présent, il a surtout pris la forme d’un corporatisme. Le modèle SELA que nous avons développé, et que nous détaillons dans le livre Des mains qui pensent, met en lien la question de l’appareil productif avec la formation professionnelle et cherche à catégoriser ce que sont les travailleurs en devenir : littéralement des travailleurs en formation. Ce texte a également pour mérite de remettre en question les distinctions qui sont faites entre travailleurs manuels et intellectuels, salariés en poste et chômeurs, jeunes actifs et retraités. Le modèle théorique et pratique que nous avons développé permet de dépasser l’enfermement des syndicats étudiants historiques, et de les rapprocher du syndicalisme plus classique, du syndicalisme dans les entreprises. Il représente donc une sorte de marchepied vers le monde du salariat, en préparant en amont les réflexes organisationnels des militants pour leur faire ouvrir les yeux sur ce qu’est la lutte de classes à son état le plus visible, le plus palpable. Nous devons œuvrer pour développer ce modèle, et organiser au sein d’une fédération syndicale unique et combative les travailleurs en formations du pays. Ici se trouve une partie de la future génération de militants communistes, qui se dévoile dans l’activité pratique et les discussions théoriques.
Mais en plus de la lutte économique et quotidienne, il est important de bâtir des organisations directement orientées vers l’action d’agitation et de propagande politique, des structures permettant de regrouper largement des militants et sympathisants progressistes intéressés par le socialisme. Notre rapide intervention dans l’organisation internationale Young Struggle, bien que récente et momentanée, est une expérience qui représente un premier pas vers la constitution de telles organisations politiques de masses. Des expérimentations sont à faire dans toutes les directions, le manque d’audace n’est plus à l’ordre du jour.
Ces outils du mouvement ouvrier ne sont pas seulement là pour préparer les masses à la prise du pouvoir, ils constituent les embryons d’une nouvelle organisation collective de la société. Dans cette nouvelle organisation, les associations et les syndicats structurent la vie quotidienne de façon démocratique, et ont le rôle de poursuivre le processus de transformation révolutionnaire de la société, sous la direction du parti communiste.
Voici donc quelques-unes des directions que nous avons prises. Certaines perdurent, d’autres ont vécu peu de temps, et certaines se découvriront chemin faisant.
Une petite organisation comme la nôtre est en demande perpétuelle de nouvelles forces. Elle doit être en prise avec la réalité de nos lieux de vie tout en ayant les échos de ce qui se fait partout ailleurs. La réalité du monde militant marxiste-léniniste français est ce qu’elle est, c’est-à-dire marginale ; et la marginalité attire les marginaux, de toutes sortes.
Notre échelle est telle que la singularité de chacun de nos membres a un potentiel d’action sur l’ensemble de la structure de notre organisation, en bien comme en mal. Même si la plupart de nos membres sont sincères, nous faisons en sorte que l’organisation que nous construisons laborieusement soit capable de tenir face à un malveillant.
Pour le moment, le danger pour Reconstruction Communiste est elle-même : peu de personnes, des perspectives limitées mais atteignables, et le risque toujours présent que l’organisation devienne le but même de son existence, qu’elle n’ait d’autre fin que son existence. Nous ne pouvons pas, concrètement, avoir une ligne sur tous les sujets, avoir un avis sur toutes les actualités, être au clair sur tels aspects d’une controverse, être au bon moment au bon endroit.
Notre faiblesse est aussi notre force : nous nous construisons en même temps que nous réfléchissons et agissons. Et c’est de l’extérieur que viendront les forces qui seront capables de nous faire dépasser ce stade incertain et fluctuant, pour avoir enfin un ennemi plus important à combattre – et à vaincre.
Deux sentiments peuvent se trouver dans la tête du lecteur : la fatigue devant ce qu’il faut accomplir, ou l’enthousiasme à participer à une tâche démesurée mais emplie de promesses.
En vérité, même le lecteur enthousiaste est saisi par la baisse de moral, contemplant d’en bas sa montagne. Immense, colossale, infranchissable.
Et puis, en regardant plus attentivement, il parvient à voir des sentiers qui se dessinent ; des gens sont passés par là, c’est certain. Un peu d’attention, et des ruines cachées par des arbres et des ronces se devinent par endroits ; des gens ont vécu-là, aucun doute. Si il fait plus attention encore, les flancs sont parsemés de lignes horizontales, de terrassements : des gens ont même travaillé ici, ils ont déplacé de la roche, bousculé les arbres, labouré les flancs.
L’histoire n’est pas une forteresse imprenable.
Par Reconstruction Communiste, décembre 2024.